Lorsque l'on évoque les artistes du bagne de Guyane, on pense tout de suite à Francis Lagrange alias FLAG qui a réalisé des fresques, notamment celles de l'intérieur de la chapelle de l'Île Royale (cliquer "ICI") et de nombreux tableaux représentant des scènes de la vie au bagne, ou encore au bagnard Pierre Huguet qui a peint l'intérieur de l'église Saint Joseph d'Iracoubo (cliquer "ICI").
Mais il y en a eu bien d'autres comme Daniel Capbal, ou LK, ou Casimir Prénéfato , ou Valentin Pourcillot, ou encore Louis Grilly. C'est à ce dernier peintre du bagne que nous allons nous intéresser dans ce petit article. A travers leurs peintures, ces bagnards trouvaient ainsi un petit espace de liberté, mais aussi le moyen d'améliorer leur ordinaire en échangeant parfois leurs tableaux avec des représentants de l'administration pénitentiaire (surveillants ...) contre de la nourriture ou d'autres objets utiles à leur survie.
D'autres bagnards utiliseront des supports qu'ils trouvaient dans la nature comme des coquillages, des noix de coco, des planches de bois, des bouts de branche ou encore des calebasses qu'ils graveront, sculpteront ou décoreront. Quant aux artistes-peintres, leur support pouvait être la toile d'un sac de farine ou celle d'une tenue de bagnard, une assiette ou encore de la tôle ...
Louis Joseph Ulysse Grilly est né le 13 février 1899 à Fressenneville (Somme), de Joseph François Marie Grilly, ouvrier serrurier, âgé de vingt six ans, et de Marie Camille Mercier, son épouse, âgée de vingt et un ans, exerçant la profession de serrurière, et demeurant tous deux dans la commune de Fressenneville.
L'on apprendra au cours d'un de ses jugements que Louis était l'ainé d'une fratrie de dix enfants, que son père qui était alcoolique et paresseux, avait complètement négligé l'éducation de ses fils. En effet, Louis Grilly, livré à ses mauvais instincts, commettra dès son plus jeune âge des vols qui le conduiront directement devant la justice pour la première fois le 18 mai 1916.
Eu égard à son jeune âge, le tribunal d'Evreux l'acquittera pour ses premiers délits jugeant qu'il avait agi sans discernement et le confiera à la société de patronage d'Evreux. Cette société de patronage avait en charge l'assistance aux libérés et la défense, le placement, l'aide aux enfants traduits en justice.
Ce tableau de Louis Grilly intitulé "Le bagne de Cayenne en 1936" a été peint sur une toile de sac de farine. Le pénitencier de Cayenne était situé à l'actuel emplacement de l'Institut Pasteur.
Louis Grilly, un délinquant multirécidiviste
Après ce premier jugement en mai 1916, Louis Grilly s'enfoncera de plus en plus dans la délinquance.
Une nouvelle affaire le conduira le lundi 15 octobre 1917 devant la Cour d'Assises du Calvados pour incendie volontaire et vol qualifié. En effet, et alors qu'il était employé comme domestique de ferme au service de la veuve Blin, cultivatrice à Sainte-Foy-de-Montgommery, dont le mari avait été tué au front en 1916, il projeta de lui voler la somme de 3750 francs, et de mettre le feu à la ferme. Grilly sauvera le plus jeune enfant de la veuve Blin, âgé de 18 mois, et coura donner l'alarme dans la commune voisine de Livarot (Calvados). Après avoir dans un premier temps nié les faits, Louis Grilly passera aux aveux complets et sera condamné à cinq ans d'emprisonnement.
ll purgeait sa peine à la maison centrale de Beaulieu à Caen, lorsqu'il fut extrait le 13 août 1918 pour être dirigé sur le camp de travailleurs spéciaux d'Amblainville (Oise) où il arriva le 15 août. Le 31 août, il s'évadait et revenait dans la région où il habitait avant sa condamnation. Sans ressources, il erra dans les campagnes tout en commettant plusieurs autres vols importants. Arrêté par les gendarmes le 12 octobre à Léaupartie (Calvados), il fut écroué le 16 octobre à la maison d'arrêt de Lisieux avant sa comparution devant le juge. Mais il s'échappera du Palais de justice le 8 novembre, faussant compagnie aux gendarmes chargés de le surveiller. Il commettra trois autres cambriolages durant sa courte cavale avant d'être arrêté le 9 novembre par le garde-champêtre du village de Crèvecoeur (aujourd'hui Crèvecoeur-le-grand dans l'Oise).
Louis Grilly, sans domicile fixe, domestique de ferme, sera une nouvelle fois jugé par la Cour d'Assises du Calvados lors de la séance du 9 avril 1919 et condamné à dix ans de réclusion et à la relégation. La relégation, peine supplémentaire du XIXe et du début du XXe siècle, consistait à maintenir interné, dans une colonie, un condamné aux travaux forcés après l'accomplissement de la peine principale.
Il sera également condamné une dernière fois par arrêt contradictoire en date du 23 octobre 1919 de la Cour d'Assises de l'Eure, siégeant à Evreux, à douze années de réclusion et de relégation pour vols qualifiés. C'est ainsi que Louis Grilly prit le chemin du bagne de la Guyane ...
Les bâtiments du bagne de Cayenne, au bord de la mer, vers 1935 par Louis Grilly (Marseille, Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée). Ce titre a probablement été donné par le Musée, mais en réalité il s'agit bien de la Caserne d'infanterie coloniale à Cayenne connue sous le nom de Caserne Loubère.
Condamné à la réclusion et à la relégation en Guyane, Louis Grilly embarquera le 27 décembre 1921 à bord de la Martinière et arrivera dans la colonie en 1922. La conduite du transporté Grilly a été médiocre dès son arrivée dans la colonie jusqu'en 1926. Il sera désigné Transporté de 1ère classe à partir du 1er avril 1928.
Louis Grilly ne s'est ensuite plus fait remarquer et n'a plus jamais encouru de peine ni de punition disciplinaire jusqu'à sa libération. A noter toutefois qu'il s'était évadé du bagne à quatre reprises et toujours repris. Sa dernière évasion a eu lieu au camp disciplinaire de Charvein dans l'ouest de la Guyane, non loin de Saint-Laurent-du-Maroni.
Le 17 décembre 1929, il fit une demande pour être porte-clefs, c'est-à-dire pour devenir un forçat employé comme auxiliaire de l'administration pénitentiaire. Sa demande sera rejetée au motif que "ce transporté actuellement à l'hôpital est peintre aux travaux". Il terminera sa peine et sera libéré le 16 avril 1936 et restera encore deux ans à Saint-Laurent-du-Maroni avant de partir s'installer à Saint-Jean-du-Maroni. Il sera relevé définitivement de sa condamnation à la relégation en 1946.
Il restera cependant en Guyane jusqu'à sa mort qui surviendra en 1970 à Cayenne.
Le camp des Roches, situé à la pointe des Roches à l'embouchure du fleuve Kourou (1930) par Louis Grilly (huile sur toile). Le pénitencier des Roches, ouvert en 1856, était principalement à vocation agricole.
Quelques autres peintures du peintre bagnard Louis Grilly
Cette toile ci-dessus représentant un paysage de Guyane se trouve à la Galerie Morand Collection à Saint-Eulalie-en-Born (40200).
Ces deux tableaux ci-dessus sont la propriété d'un particulier dont le grand-père était gardien au bagne en Guyane.
Trois tableaux de L. Grilly au Musée départemental Alexandre Franconie de Cayenne
Ces trois tableaux (1930 ?) ont été achetés par le Musée départemental Alexandre Franconie à Cayenne en 1991.
Trois tableaux de L. Grilly mis en vente aux enchères à Quimper (29) en mai 2016
Un tableau de L. Grilly récemment mis en vente sur Ebay (septembre 2017)
Trois nouveaux tableaux de Grilly provenant d'une collection privée en Bretagne (rajoutés en Janvier 2023)
Deux nouveaux tableaux de Grilly appartenant à un collectionneur privé (Rajoutés en Novembre 2023)
Sources :
https://criminocorpus.org/fr/musee/les-artistes-du-bagne/
Normannia.info (L'indicateur de Bayeux : 1916/1917/1919 et Le Lexovien : 1916/1919).
Archives départementales en ligne de la Somme (Etat-civil numérisé).
Musée Balaguier au Fort de la Seyne-sur-Mer (83).
Musée Départemental Alexandre Franconie à Cayenne (973).