Sur la place des Palmistes à Cayenne, se dresse en son milieu une colonne célébrant le centenaire de la Révolution française de 1789. Appelée Colonne de la République, elle porte à son sommet un buste de Marianne, symbole qui représente la République Française et ses valeurs contenues dans la devise " Liberté, Égalité, Fraternité ". Marianne, qui porte un bonnet phrygien, est la contraction de Marie-Anne, prénom féminin très répandue et populaire au XVIII° siècle ...
Les cayennais décidèrent de commander un monument commémoratif du centenaire de la grande révolution. Ce monument porte plusieurs inscriptions latines comme "Nepotes Gloriae Avorum 1889" (Les descendants à la gloire de leurs ancêtres), "Coeperunt cives libertatem 1789" (Les citoyens ont conquis leur liberté), ainsi que d'autres mots latins sur les quatre côtés du support de la colonne tels que : Pax, Lux, Jus, Lux (Paix, Loi, Justice, Lumière). Une gueule de lion, grande ouverte, représente la force du peuple.
Le monument ne fut inauguré que le 14 juillet 1890, soit un an après l'anniversaire du centenaire de la Révolution du 14 juillet 1789, jour de la fête nationale, qui commémore la prise de la Bastille et la fin de la monarchie absolue.
Mais la petite histoire en Guyane nous apprend que le fondeur Maurice Denonvilliers, débordé par les commandes pour la commémoration du centenaire de la révolution, n'avait plus de bustes de Marianne disponibles, tout son stock étant épuisé. Aussi, décida-t-il d'utiliser un buste de Charlotte Corday qui, après quelques petites retouches comme l'ajout d'un bonnet phrygien, faisait une "Marianne" très honorable.
Les guyanais ayant appris ce subterfuge, et loin de s'en offusquer, trouvèrent l'affaire cocasse et baptisèrent du nom de "Charlotte" le buste de la République, place des Palmistes. Certains lui rajoutèrent même le titre de reine d'où l'appellation encore répétée aujourd'hui de "Buste de la reine Charlotte" pour nommer la colonne commémorative du centenaire de la Révolution française.
Pour mémoire, Marie-Anne Charlotte Corday d'Armont assassina à Paris le 13 juillet 1793 dans sa baignoire le député à la Convention Jean-Paul Marat. Après un jugement expéditif, elle fut guillotinée le 17 juillet 1793 à l'âge de 25 ans.
Autres photos de la Colonne de la République :
Sans vouloir remettre en doute la belle histoire guyanaise du buste de la reine Charlotte, dont la source semble être de tradition orale, mais le proverbe nous apprend que "Lafimé pa ka maché san difé" (Il n'y a pas de fumée sans feu) ...
L'autre histoire, à défaut de se substituer à la première, pourrait sans problème la compléter. Elle trouve son origine dans les noms gravés à la base du monument soutenant la colonne, comme vous pouvez le constater sur la mini photo à gauche de ce texte (vous pouvez l'agrandir en cliquant dessus). Ces noms représentent les acteurs qui ont participé à la création - élaboration de ce monument commémoratif de 1789 :
Maurice Denonvilliers (1848-1907), à qui l'on attribue la "transformation" du buste de Charlotte Corday en buste de Marianne, était le directeur de la fonderie installée à Sermaize-sur-Saulx (51), commune devenue à la fin du XIX° siècle Sermaize-les-Bains.
Charles Gauthier (1831-1891) était un sculpteur ayant réalisé de nombreuses œuvres monumentales. Récompensé à de multiples reprises, il fut nommé chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur en juillet 1872.
Jacques France, pseudonyme de Paul Lecreux (1826-1894), est un sculpteur franc-maçon qui a notamment réalisé une Marianne parée d'attributs maçonniques début 1881. Membre de la loge L’Étoile Polaire à Paris, Paul LECREUX s’était fait connaître par des oeuvres patriotiques.
Edmond Guillaume (1826-1894) était un architecte des monuments et des palais nationaux. Il reçut lui-aussi de nombreuses récompenses durant sa carrière et fut également nommé chevalier de la Légion d'honneur en décembre 1866.
L'Union Statuaire, entreprise de fonderie qui était située à Asnières et dirigée par Paul Lecreux, également connu comme sculpteur sous le pseudonyme de Jacques France (voir plus haut).
La photo ci-dessus représente le buste de Marianne paru en première page du "Le Petit Journal - supplément illustré - daté du samedi 21 février 1891" avec en sous-titre : Le nouveau buste officiel de la République (projet de MM Jacques France et Charles Gauthier). L'article à l'intérieur du journal précise que ce buste peut être réellement considéré comme le nouveau buste officiel de la République, bien qu'aucune décision ministérielle ne soit intervenue.
On apprend aussi dans cet article de février 1891 que le gouvernement a préféré s'en rapporter au jugement des députés de la nation et voici le vœu que ceux-ci ont émis :" Attendu que depuis bientôt vingt ans que la République est proclamée, il n'existe d'autre buste officiel de la République que celui du gouvernement du 16 mai, les députés soussignés émettent le vœu de voir confirmer le suffrage de la majorité des républicains de France et des colonies, qui ont adopté, comme la figure personnifiant le mieux la République, le buste de Jacques France et Charles Gauthier." (suit la signature de 166 députés).
L'article poursuit: "La belle œuvre de MM Jacques France et Charles Gauthier avait précédemment reçu une importante consécration. L'original en fut inauguré au banquet des maires le 14 juillet 1888 ..." et notamment par le président de la République en personne. Bien que de nombreux autres projets furent présentés à la Chambre des députés, une commission se constitua en dehors du Parlement et adopta le 6 mars suivant, le projet présenté par le sculpteur Jacques France.
Un autre extrait de l'article du petit Journal précise: "Ce projet n'étant qu'une maquette, Jacques France s'adjoignit pour l'exécution son confrère Charles Gauthier, puis les deux collaborateurs firent appel aux connaissances techniques d'Edmond Guillaume, l'érudit architecte du Louvre, et de cette triple collaboration sortait le monument complet ...".
Et c'est ainsi que le nouveau buste de Marianne se retrouva en 1889 au sommet de la colonne de la République sur la Place des Palmistes à Cayenne ... S'agissant d'une nouvelle Marianne que nul ne connaissait, ne fut-elle pas confondue avec le buste de Charlotte Corday ? Peu importe après tout, les deux histoires, à défaut de se substituer, peuvent se compléter !
D'autres monuments, très nombreux, réalisés par ces mêmes artistes, y compris fondus par Maurice Denonvilliers, s'élevèrent, avec une ressemblance troublante avec notre Reine Chalotte, en de très nombreux autres lieux de la métropole et des colonies, afin de commémorer le centenaire de la grande révolution comme on peut en voir quelques unes ci-dessous ...
Sources :
Conseil Général de la Guyane - Lieux patrimoniaux guyanais - La place des Palmistes.
Le Petit Journal - supplément illustré - 21 février 1891 (Gallica).
Ministère de la culture - Base Palissy
http://www.linternaute.com/actualite/magazine/musee-franc-maconnerie/marianne-jacques-france.shtml